Homélie de Mgr Hippolyte Simon 

Frères et sœurs,

Au cours de cette vigile pascale, je voudrais m’attarder sur cette phrase de l’Apôtre Paul dans sa  lettre aux romains : « de même, vous aussi pensez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus-Christ. » [...]

Frères et sœurs,

Au cours de cette vigile pascale, je voudrais m’attarder sur cette phrase de l’Apôtre Paul dans sa  lettre aux romains : « de même, vous aussi pensez que vous êtes morts au péché et  vivants pour Dieu en Jésus-Christ. » Et pour découvrir l’importance de cette phrase, je voudrais attirer votre attention sur le fait que l’événement que nous célébrons ce soir, la Résurrection du Seigneur, n’a pas eu seulement des conséquences pour l’Eglise, pour les disciples du Christ, pour nous qui sommes chrétiens. L’événement de la mort et de la résurrection de Jésus ne concerne pas simplement l’histoire religieuse de l’humanité. Elle ne concerne pas seulement non plus le calendrier, puisque, comme vous le savez, le calendrier universel, aujourd’hui, décompte les années et les siècles à partir de la naissance du Christ.

Nous célébrons Jésus de Nazareth, en qui nous reconnaissons le fils de Dieu fait homme. Par son incarnation, Jésus est devenu un acteur de l’histoire de l’humanité tout entière. Et pas seulement de ceux qui le reconnaissent. L’événement pascal a donc des conséquences pour l’histoire de tous les hommes. De la même façon que la sortie d’Egypte, que nous avons rappelée dans la première lecture a des conséquences sur toute l’histoire humaine, aujourd’hui encore, de même l’Alliance nouvelle, que Jésus a offerte aux croyants, transforme aussi la culture, la civilisation, et fondamentalement l’idée que les hommes se font d’eux-mêmes.

Le premier qui a le plus clairement tiré les conséquences de la foi chrétienne pour l’ensemble des relations humaines, c’est l’apôtre Paul dans sa lettre aux Galates. Lorsqu’il nous dit : «  désormais parmi vous, il n’y a plus ni le juif ni le grec, ni l’esclave ni l’homme libre, ni l’homme ni la femme ; Tous, vous êtes un dans le Christ. » (Gal.3,28)

Voyez donc frères et sœurs, il y a l’événement central de la mort et de la Résurrection du Christ. Et il y a les conséquences culturelles et sociales de cette proclamation. Et comme l’ont reconnu les plus grands philosophes du 19e siècle, ces conséquences ont travaillé à la manière d’un ferment dans l’histoire des hommes. Malgré toutes les régressions que l’on pourrait évoquer, malgré tous les drames et toutes les tragédies de l’histoire, je crois que nous pouvons reconnaître qu’il y a eu, à partir de la prédication chrétienne, comme un travail souterrain qui a fait triompher deux grandes convictions. La première, qui a permis de dépasser l’opposition entre les juifs et les grecs, les esclaves et  les hommes libres, c’est l’idée qu’il n’y a qu’une seule famille humaine. Par-delà toutes les différences entre les civilisations et entre les peuples, il y a unité du genre humain. Et l’Eglise le donne à voir, car elle réunit des hommes et des femmes de toutes langues et de toutes cultures.

Et la seconde conséquence c’est que toute personne humaine est concernée par le Salut et qu’elle acquiert donc une dignité inaliénable. Ces deux grandes convictions constituent ce que le Pape Jean Paul II appelait la révolution mentale et spirituelle opérée par le christianisme dans l’Empire romain.

Et, aujourd’hui, nous voyons comment les grandes idées de la doctrine sociale de l’Eglise ont été parfaitement illustrées par Saint Jean Paul II, dont nous n’oublions pas que c’est le 10e anniversaire de sa mort. Les grandes idées de la doctrine sociale de l’Eglise sont aujourd’hui communément admises. Cette doctrine avait deux grands adversaires au 20e siècle : le nazisme, qui a accompli les tragédies que nous savons, avant d’être englouti par la guerre. Et puis le communisme qui règne encore en Asie, mais qui s’est effondrée en Europe il y a 30 ans. Apprenons donc à reconnaître, sans triomphalisme, mais aussi sans complexes,  cette grande solidité de la Doctrine sociale de l’Eglise que nous avons reçue de la Tradition chrétienne.

Aujourd’hui, la majorité des êtres humains semble d’accord pour admettre qu’il y a qu’une seule famille humaine. Nous le voyons régulièrement  avec tous les appels qui sont adressés, tous les jours, à la communauté internationale pour tenter de mettre fin à aux tragédies qui ensanglantent encore notre humanité. Regardez comment,  hier encore, le Pape François a lancé un appel solennel à la communauté internationale pour mettre fin aux persécutions des chrétiens. C’est donc bien le signe que nous admettons qu’il n’y a qu’une seule famille humaine responsable de son avenir et de son destin. ( Je pourrais illustrer cette vérité aussi bien par le souci de l’avenir écologique de notre planète, ou par le téléphone portable qui permet de joindre quelqu’un dont on a le numéro, n’importe où dans le monde.)

Et de la même façon, nous ressentons comme une souffrance chaque fois qu’il est porté atteinte à la dignité de la personne humaine. Même si nous risquons des dérives, comme on le voit avec les débats autour de l’embryon ou autour de la fin de vie, l’opinion publique, au moins en Occident, reconnaît l’importance centrale des droits de la personne humaine. Du moins en théorie, à défaut d’une pratique toujours difficile à réaliser.

Mais, chose étonnante, au moment où cette conception de la personne humaine, avec  l’unité du genre humain et la dignité inaliénable de chaque personne, semble s’imposer partout, au moment où ces idées semblent triompher, au moins dans notre pays, nous risquons d’oublier ce qui a été le centre de la prédication chrétienne pendant les siècles passés, et qui le reste bien évidemment :  le fait que la Résurrection concerne chaque être humain et qu’elle nous ouvre une relation personnelle et vivante avec notre Dieu, qui et Père , Fils et Esprit.

Comme vous le savez, le concile de Vatican II  a donné comme présentation de la mission de l’Eglise cette formulation : « l’Eglise est dans le Christ, en quelque sorte, comme le sacrement du Salut, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. » ( L.G.1)

Au moment donc où l’on admet l’unité du genre humain, on semble oublier que l’Eglise est d’abord et centralement « signe et moyen de l’union intime avec Dieu. »

Evidemment, ce n’est pas à vous que je dois le rappeler. Si vous êtes là ce soir, c’est que vous êtes convaincus de l’importance de cet enracinement dans la vie même de Dieu, par la méditation des Ecritures et  par les sacrements, par la prière et le partage.

Mais il est étonnant de vivre au milieu d’une société qui semble faire comme si Dieu n’existait pas, pour reprendre le titre d’une conférence du frère Richard, de Taizé, qui est venu récemment rencontrer les jeunes de notre diocèse.

Alors,  frères et sœurs, sans oublier l’importance de nos engagements comme citoyens, comme membres de l’Etat de droit, et  comme citoyens du monde, responsables de l’avenir de notre planète, sans oublier l’importance de ces engagements, je vous invite à raviver en vous la joie de savoir que vous avez part à la Révélation de Jésus-Christ, le fils de Dieu, ressuscité d’entre les morts pour nous partager sa vie.

Nous pouvons compter sur nos frères et sœurs engagés dans la vie consacrée pour nous aider à mettre au cœur de notre vie ce primat de la rencontre avec Jésus, le Christ. N’hésitons pas à leur demander de nous partager leur expérience et leur recherche. Prenez le temps, frères et sœurs, de redécouvrir la joie que nous offre l’Evangile, justement parce qu’il nous ouvre le chemin de la réconciliation avec Dieu notre père. Prenez le temps de comprendre comment cette découverte de la vie du Christ, qui nous a donné son Esprit pour nous guider au jour le jour, répond à la recherche la plus centrale, la plus fondamentale, des êtres humains.

Accueillons ensemble, ce soir, la leçon des catéchumènes. Lorsque nous avons la joie de partager avec eux, beaucoup nous disent qu’en découvrant le Christ, ils découvrent la paix intérieure, Ils découvrent la réponse à des questions intérieures, spirituelles qu’ils osaient à peine  formuler. Est-ce que Dieu existe ? Est-ce que nous pouvons le connaître ?  Est-ce que Jésus-Christ nous donne part à sa Résurrection ? ces questions, je le sais, sont difficiles à partager dans la société française actuelle. Celles et ceux qui osent les poser risquent  la dérision et la moquerie. Mais ne vous censurez pas !  Frères et sœurs, je vous en prie, osez parler entre vous de ces questions intérieures, de ces questions spirituelles, et partagez vos découvertes. Prenez soin de vous ! et cultivez votre vie intérieure, votre recherche spirituelle

Beaucoup de gens autour de nous ignorent ce qu’ils recherchent. Ils risquent de se satisfaire de satisfactions provisoires. Alors, cherchez le chemin d’un témoignage paisible et joyeux. De même que nous venons de partager la lumière de nos cierges, trouvez les gestes et les paroles qui témoigneront de votre foi auprès des personnes qui vous entourent. Comme vous le savez : Dieu seul peut répondre à nos désirs les plus profonds. Alors, frères et sœurs, laissez-moi vous le redire avec l’Apôtre Paul, aujourd’hui en cette fête de Pâques : « Pensez que vous êtes morts au  péché et vivants pour Dieu en Jésus-Christ ! »

 

+ Hippolyte Simon

Archevêque de Clermont