« À l’heure où s’achève ce Jubilé, il est temps de regarder en avant et de comprendre comment continuer avec fidélité, joie et enthousiasme, à faire l’expérience de la richesse de la miséricorde divine ».
"À ceux qui liront cette Lettre Apostolique, miséricorde et paix
Misericordia et misera sont les deux termes qu’utilise Saint Augustin pour raconter la rencontre entre Jésus et la femme adultère (cf. Jn 8, 1-11). Il ne pouvait trouver expression plus belle et plus juste pour faire comprendre le mystère de l’amour de Dieu quand il vient à la rencontre du pécheur : « Il ne resta que la misérable pécheresse en face de la bonté miséricordieuse » [1]. Que de pitié et de justice divine dans ce récit ! Son enseignement éclaire la conclusion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde et nous indique la route que nous sommes appelés à suivre à l’avenir.
1. Cette page d’Évangile peut être considérée à bon droit comme une icône de ce que nous avons célébré durant l’Année Sainte, un temps riche de miséricorde, laquelle demande à être encore célébrée et vécue dans nos communautés. De fait, la miséricorde ne peut être une parenthèse dans la vie de l’Église, mais elle en constitue l’existence même, qui rend manifeste et tangible la vérité profonde de l’Évangile. Tout se révèle dans la miséricorde ; tout se résout dans l’amour miséricordieux du Père.
Une femme et Jésus se sont rencontrés. Elle, adultère, et, selon la Loi, passible de lapidation. Lui, par sa prédication et le don total de lui-même, qui le conduira jusqu’à la Croix, a replacé la loi mosaïque dans son intention originelle. Au centre, il n’y a pas la loi ni la justice de la loi, mais l’amour de Dieu qui sait lire dans le cœur de chacun, pour en saisir le désir le plus caché, et qui doit avoir le primat sur tout. Dans ce récit évangélique, cependant, on ne rencontre pas le péché et le jugement de manière abstraite, mais une pécheresse et le Sauveur. Jésus a regardé cette femme dans les yeux et il a lu dans son cœur : il y a trouvé le désir d’être comprise, pardonnée, et libérée. La misère du péché a été recouverte par la miséricorde de l’amour. Il n’y a chez Jésus aucun jugement qui ne soit marqué par la pitié et la compassion pour la condition de la pécheresse. À ceux qui voulaient la juger et la condamner à mort, Jésus répond par un long silence, pour laisser la voix de Dieu se faire entendre dans les consciences, tant celle de la femme que celles de ses accusateurs. Ceux-ci laissent les pierres tomber de leurs mains et s’en vont un par un (cf. Jn 8, 9). À la suite de ce silence, Jésus dit : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? …Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus » (vv. 10-11). De cette manière, il l’aide à se tourner vers l’avenir avec espérance et à être prête à se remettre en route. Désormais, si elle le désire, elle pourra « vivre dans l’amour » (cf. Ep 5, 2). Revêtue de la miséricorde, même si la condition de faiblesse du péché demeure, elle sera comme recouverte par l’amour qui permet de regarder plus loin et de vivre autrement.
2. Jésus l’avait d’ailleurs déjà enseigné avec clarté, lorsqu’invité à partager le repas chez un pharisien, une femme connue de tous comme une pécheresse s’était approchée de lui (cf. Lc 7, 36-50). Elle avait répandu du parfum sur les pieds de Jésus, les avait arrosés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux (cf. v. 37-38). À la réaction scandalisée du pharisien, Jésus répondit : « Ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour » (v. 47).
Le pardon est le signe le plus visible de l’amour du Père, que Jésus a voulu révéler dans toute sa vie. Il n’y a aucune page de l’Évangile où cet impératif de l’amour qui va jusqu’au pardon ne soit présent. Même au moment ultime de son existence terrestre, alors qu’il est cloué sur la croix, Jésus a des paroles de pardon : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34).
Rien de ce qu’un pécheur qui se repent place devant la miséricorde de Dieu ne peut demeurer sans l’étreinte de son pardon. C’est pourquoi aucun d’entre nous ne peut poser de conditions à la miséricorde. Elle demeure sans cesse un acte gratuit du Père céleste, un amour inconditionnel et immérité. Nous ne pouvons donc pas courir le risque de nous opposer à l’entière liberté de l’amour par lequel Dieu entre dans la vie de chacun.
La miséricorde est cette action concrète de l’amour qui, en pardonnant, transforme et change la vie. C’est ainsi que se manifeste son mystère divin. Dieu est miséricordieux (cf. Ex 34, 6) ; sa miséricorde demeure pour l’éternité (cf. Ps 136) ; de génération en génération, elle embrasse toute personne qui met en lui sa confiance, la transforme en lui donnant sa propre vie.
3. Que de joie a ainsi jailli du cœur de ces deux femmes, l’adultère et la pécheresse ! Le pardon les a fait se sentir enfin libres et heureuses comme jamais auparavant. Les larmes de la honte et de la douleur se sont transformées en sourire de celle qui se sait aimée. La miséricorde suscite la joie, car le cœur s’ouvre à l’espérance d’une vie nouvelle. La joie du pardon est indicible, mais elle transparait en nous chaque fois que nous en faisons l’expérience. L’amour avec lequel Dieu vient à notre rencontre en est l’origine, brisant le cercle d’égoïsme qui nous entoure, pour faire de nous, à notre tour, des instruments de miséricorde.
Comme sont riches de sens également pour nous les paroles anciennes qui guidaient les premiers chrétiens : « Revêts-toi donc de la joie qui plaît toujours à Dieu et qu'il accueille favorablement : fais-en tes délices. Tout homme joyeux fait le bien, pense le bien et méprise la tristesse […] Ils vivront pour Dieu, ceux qui rejetteront loin d'eux la tristesse et se revêtiront de la seule joie »[2]. Faire l’expérience de la miséricorde donne de la joie. Ne laissons pas nos afflictions et nos préoccupations l’éloigner de nous. Qu’elle demeure bien enracinée dans notre cœur et nous fasse toujours considérer notre vie quotidienne avec sérénité.
Dans une culture souvent dominée par la technique, les formes de tristesse et de solitude où tombent tant de personnes et aussi tant de jeunes, semblent se multiplier. L’avenir semble être l’otage de l’incertitude qui ne permet pas la stabilité. C’est ainsi qu’apparaissent souvent des sentiments de mélancolie, de tristesse et d’ennui, qui peu à peu peuvent conduire au désespoir. Nous avons besoin de témoins d’espérance et de véritable joie, pour chasser les chimères qui promettent un bonheur facile fait de paradis artificiels. Le vide profond ressenti par beaucoup peut être comblé par l’espérance que nous portons dans le cœur et par la joie qui en découle. Nous avons tant besoin de reconnaître la joie qui se révèle dans un cœur touché par la miséricorde. Tirons donc profit de ces paroles de l’Apôtre : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur » (Ph 4,4 ; cf. 1 Th 5,16).
4. Nous avons célébré une Année intense durant laquelle la grâce de la miséricorde nous a été donnée en abondance. Tel un vent impétueux et salutaire, la bonté et la miséricorde du Seigneur se sont répandues sur le monde entier. Et face à ce regard aimant de Dieu, qui s’est posé sur chacun de nous de façon prolongée, nous ne pouvons pas rester indifférents car il change la vie.
En premier lieu, nous ressentons le besoin de remercier le Seigneur et de lui dire : « Tu as aimé, Seigneur, cette terre […] tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute » (Ps 84,2-3). C’est ainsi : Dieu a piétiné nos fautes et il a jeté nos péchés au fond de la mer (cf. Mi 7,19) ; il ne s’en souvient plus, il les a jetés derrière lui (cf. Is 38,17) ; aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de lui nos péchés (cf. Ps 102,12).
Au cours de cette Année Sainte, l’Église a su se mettre à l’écoute, et elle a fait l’intense expérience de la présence et de la proximité du Père qui, par l’Esprit Saint, lui a rendu plus manifeste le don et la mission de Jésus Christ concernant le pardon. Le Seigneur nous a vraiment rendu visite une nouvelle fois. Nous avons senti son souffle de vie se répandre sur l’Église, et une fois encore, ses paroles ont indiqué la mission : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » (Jn 20,22-23).