Qu'est-ce-qu'un plan de vie

Extrait du livret du Laurier "Un plan de vie chrétienne" de l'abbé Alphonse Vidal

[...]

1. QU’EST-CE QU’UN PLAN DE VIE ?

 

Dans ses ouvrages le bienheureux Escriva emploie à plusieurs reprises l’expression plan de vie. Comme, par exemple, dans ce point de son livre Chemin : « Dissipation. — Tu laisses tes sens et tes facultés s’abreuver à n’importe quelle mare. — Puis, te voilà, instable, l’attention dispersée, la volonté somnolente et la concupiscence en éveil. — Astreins-toi sérieusement de nouveau à un plan qui t’aide à mener une vie de chrétien, ou tu ne feras jamais rien de profitable » (n.375). Ou de manière encore plus explicite, dans l’homélie L’amitié avec Dieu (5-IV-1964) : « Essaie de t’en tenir à un plan de vie, avec constance : quelques minutes de prière mentale ; l’assistance à la sainte messe, tous les jours s’il se peut, et la communion fréquente ; un recours assidu au saint sacrement du pardon, même si ta conscience ne te reproche pas de péché mortel, la visite à Jésus dans le Tabernacle, la récitation et la contemplation des mystères du saint rosaire, et tant de bonnes pratiques de piété que tu connais bien ou que tu peux apprendre » (Amis de Dieu, n.149).

Le sens de l’expression est donc clair. Il s’agit de mettre sur pied un plan ou programme de vie chrétienne qui assure notre croissance surnaturelle et la recherche de notre sainteté personnelle ; et ensuite de s’y astreindre.
Un plan de vie est dès lors un plan qui donne la vie à l’âme, qui la fait vivre d’une vie surnaturelle, grâce à certains moyens et méthodes. Et aussi un programme de vie que, une fois établi, l’on s’efforce de tenir fidèlement, jour après jour, car nous ne devons jamais nous arrêter dans la poursuite de notre idéal chrétien. Tout centre d’enseignement élabore un programme, tout élève responsable fait un plan personnel de travail. Ainsi les objectifs sont parfaitement définis et peuvent être atteints de la manière la plus rapide et opportune. Pourquoi en irait-il autrement de notre vie chrétienne ? Seule différence, encore qu’elle soit de taille : pour la vie surnaturelle, c’est Dieu qui a fixé et les objectifs et les moyens. Mais Il n’en compte pas moins sur notre capacité personnelle, notre expérience et notre savoir faire dans la mise en pratique de son projet divin. Il nous laisse le soin d’en déterminer les détails. C’est là qu’intervient notre plan ou programme de vie.
La finalité de ce plan de vie n’est autre que la sainteté personnelle : parvenir à maturité selon toutes les dimensions de notre personnalité, accomplir nos devoirs religieux et humains avec le plus de perfection possible, bien unis à Dieu, notre Père. Nos choix personnels ne concernent donc pas la fin, mais les moyens, le rythme et les modalités pratiques.


2. NECESSITE ET UTILITE


Puisque nous ne sommes jamais aussi déterminés et constants que lorsque le bien-fondé d’une décision nous apparaît clairement, il ne sera pas inutile d’insister encore sur la nécessité et l’utilité de se donner un plan de vie. Nous avons indiqué que ce plan ne sera pas le même pour un religieux, pour un prêtre, ou encore pour un laïc vivant dans le monde et ayant une vocation séculière.

 

Le bienheureux Escriva, fondateur de l’Opus Dei, a conduit — et conduit encore par ses écrits, son exemple et son intercession — des millions de laïcs vers la sainteté au milieu du monde. C’est une partie du message que Dieu lui a confié et que l’Église nous a livré en le béatifiant.
« Parmi la variété des chemins de la sainteté chrétienne, la voie parcourue par le Serviteur de Dieu manifeste, avec une transparence particulière, le caractère radical de la vocation baptismale. Grâce à la perception très vive qu’il avait du mystère du Verbe Incarné, Mgr Escriva de Balaguer comprit que c’est dans le cœur de l’homme, né de nouveau dans le Christ, que la trame des réalités humaines se trouve étroitement mêlée à l’économie de la vie surnaturelle, devenant ainsi lieu et moyen de sanctification. Dès la fin des années vingt, le Serviteur de Dieu, authentique pionnier d’une étroite unité de vie chrétienne, apporta la plénitude de la contemplation à tous les chemins de la terre, et appela tous les fidèles à s’insérer dans le dynamisme apostolique de l’Église, chacun à partir du lieu qu’il occupe dans le monde »

(Congrégation pour les Causes des Saints, Décret portant déclaration des vertus héroïques du Serviteur de Dieu Josémaria Escriva de Balaguer, 9 avril 1990).

Voilà dans quels termes l’Église a résumé quelques aspects de son apport à la spiritualité laïque, avec une insistance particulière sur la sanctification au milieu du monde.


En bon maître spirituel, il n’a jamais proposé de moyen qu’il ne se soit lui-même préalablement efforcé de mettre en pratique. D’où la force de ses conseils et des exemples qu’il proposait. Une image qui lui était chère, tant elle lui semblait parlante et utile, est celle des balises rouges. Il s’en servait souvent dans sa prédication et dans les entretiens de direction spirituelle. « Mon jeune esprit fut fortement frappé par ces balises que l’on trouvait sur les bords des chemins dans nos montagnes ; c’était chez moi de grands pieux, généralement peints en rouge. On m’avait expliqué alors que ces poteaux dépassent lorsque la neige a recouvert sentiers, terres ensemencées, pâturages, forêts, rochers et précipices. Ils sont un point de repère sûr pour que tout voyageur puisse à tout moment reconnaître sa route » (Amis de Dieu, n. 151).

Image tout à fait conforme aux enseignements de l’Évangile, où notre Seigneur se présente Lui-même comme la Voie, la Vérité et la Vie (cf. Jn 14, 6), et où la vie sur terre est souvent comparée à un voyage, un chemin à parcourir, long et étroit par endroits, comportant l’effort et la fatigue.


L’application à la vie spirituelle était dès lors aisée et simple. « Il arrive quelque chose de semblable dans la vie intérieure. Elle comporte de belles saisons, mais aussi des hivers, des jours gris, des nuits sans lune… Nous ne pouvons permettre que nos rapports avec Jésus-Christ soient à la merci de nos sautes d’humeur, des changements de notre caractère. Ces attitudes trahissent l’égoïsme et la commodité et sont de toute évidence incompatibles avec l’amour. Ainsi, qu’il vente ou qu’il neige, quelques pratiques de piété, solides, en rien sentimentales, bien enracinées et adaptées aux circonstances personnelles de chacun, seront comme ces balises rouges qui nous indiquent toujours le Nord jusqu’à ce que le Seigneur nous envoie à nouveau le soleil, le dégel, et que notre cœur recommence à vibrer, enflammé d’un feu qui ne s’était de fait jamais éteint. Ce n’était que braises enfouies sous la cendre d’une épreuve momentanée, ou d’un effort relâché, ou d’un sacrifice insuffisant » (Ibidem).


Nous sommes donc prévenus contre quelques dangers redoutables dans notre lutte pour atteindre la sainteté : les états d’âme, les sautes d’humeur, ou la prise qu’ont sur nous les circonstances extérieures. Il arrive que nous soyons capables de déceler les causes d’un état de lassitude et de paresse spirituelle. Cela peut être dû à la fatigue physique ou psychologique, à un surmenage, à certains échecs que nous n’avons pas su assumer et à bien d’autres raisons. Il arrive aussi que l’état d’âme survienne sans crier gare, rendant de ce fait plus aiguë notre perplexité. La seule chose que nous sachions alors c’est que nous n’avons plus envie de faire quoi que ce soit. Ou bien, il se peut que, par périodes, certaines activités personnelles prennent plus de volume que d’habitude : un surcroît de travail, quelques voyages imprévus, des obligations familiales extraordinaires, etc. Encore un motif qui pourrait nous amener à négliger notre vie spirituelle, en attendant que les circonstances redeviennent normales. Dans tous les cas, la neige ou le brouillard cachent le chemin, et nous sommes tentés de l’abandonner ; ou, si le chemin se dessine nettement devant nous, nous n’en avons pas moins envie de tout arrêter ou de prendre un chemin de traverse, plus attrayant peut-être que celui du devoir.


Qu’arrive-t-il lorsque les circonstances nous forcent à prendre en charge des occupations extraordinaires ? Sur le plan humain, nos habitudes nous permettent de ne pas négliger notre santé : les trois repas quotidiens, pris peut-être à la va-vite, quelques heures de sommeil chaque nuit, quelques heures de repos et de détente, trouvées tant bien que mal au cours du week-end. En outre, nos proches se rappellent à notre souvenir, si, toujours en raison de ces occupations imprévues et très prenantes, nous négligeons nos devoirs envers eux. Nous vivons dans un système tel que, sauf à adopter une attitude vraiment insensée ou folle, nous sommes amenés à assurer l’essentiel de nos devoirs.
Et Dieu ? Malheureusement, nous pouvons l’oublier et faire la sourde oreille à ses appels paternels. Loin des yeux, loin du cœur, et, d’oubli en négligence, de commodité en compromission, Il peut sortir petit à petit de notre vie. C’est surtout là que le plan de vie se révèle être un instrument de premier choix. Il nous impose une discipline qui nous permet de satisfaire aux exigences de ces fonctions vitales, indispensables à notre vie spirituelle. Si nous ne mangeons pas assez, si nous négligeons nos heures de sommeil et le repos nécessaire, la santé s’en ressent et des symptômes assez clairs commencent à se manifester, qui nous mettent en garde nous-mêmes ou, à tout le moins, nos proches. Et ils se feront un devoir de nous en avertir.


Mais, pour la santé de l’âme, les symptômes sont moins évidents en soi. Il faut une conscience délicate et un œil exercé pour les remarquer, les conséquences de nos négligences et de nos omissions mettant un certain temps à se manifester. On pourrait dès lors penser que, en fin de compte, tout va bien, qu’il n’y a rien à craindre si nous laissons passer un certain temps avant de réagir. Rien n’est plus loin de la vérité, car, sans Dieu, sans une nourriture adéquate, l’âme s’affaiblit et devient plus vulnérable. D’ailleurs, un certain énervement, des difficultés à contrôler le caractère ou à maîtriser nos sens et notre imagination sont la preuve que nous avons pris une mauvaise pente et qu’il nous faut nous ressaisir. Seul un plan de vie bien établi et bien suivi nous met à l’abri de tous ces risques et peut surtout nous fournir les calories spirituelles nécessaires à notre croissance.


3. LES NORMES DE PIETE


« La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu ; et ton envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 3).
L’aboutissement du processus de croissance spirituelle qui commence par le baptême est la gloire du ciel, la vision face à face de Dieu, connue sous le nom de vision béatifique. S’il est fidèle à sa vocation chrétienne, l’homme atteindra sa maturité en arrivant au ciel. C’est en cela que consiste la vie éternelle. Admis en la présence de la Très Sainte Trinité, il n’aura plus besoin désormais de prière, ni de sacrements, car il possédera définitivement les biens pour lesquels il a été créé. Mais en attendant ce moment si ardemment désiré, moment de plénitude et d’épanouissement définitif, l’homme avance dans la foi, ayant une connaissance imparfaite de Dieu : « aujourd’hui, nous voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » (1 Co 13, 12). Il doit chercher Dieu au milieu des réalités créées qui l’entourent, s’efforcer d’y découvrir sa présence, pour remplir sa mission essentielle : la gloire de Dieu. Il doit l’honorer, le fréquenter, solliciter son aide paternelle, lui demander pardon quand il L’a offensé. Une vertu spéciale l’y aide, la vertu de piété.


Dans un texte cité ci-dessus (p. 24) , Mgr Escriva emploie l’expression pratiques de piété. Il les appelait aussi normes de piété. Le mot norme est pris ici dans ses acceptions traditionnelles : règle, principe, canon, ce qu’il faut suivre et respecter pour atteindre la fin dont il est question. Ici, il signifie les moyens que la vertu de piété met en œuvre pour s’exercer opportunément et permettre à l’homme d’entretenir des rapports filiaux avec Dieu, son Père. Nous pouvons donc dire qu’un plan de vie se compose de toute une série de normes qui en constituent la structure fondamentale. Il n’y a pas de plan de vie sans quelques normes bien définies et organisées. De même que quelques normes éparses, accomplies de manière épisodique et désorganisée, ne constituent pas un plan de vie. Ces normes sont, pour employer une image, comme les balises d’un chemin de grande randonnée. Elles jalonnent notre journée et nous permettent de la parcourir bien unis à Dieu. Arrivés à une balise — une norme déterminée — nous nous efforçons de repérer la suivante, afin de rester sur le bon chemin. En commençant le travail le matin, on peut penser à l’Angélus de midi. Et à midi, à la visite au Saint Sacrement que nous comptons faire après le repas, et ainsi de suite.


Essayons de donner un aperçu de quelques normes qui pourraient être comme les matériaux de base d’un programme de vie chrétienne. Elles peuvent être groupées autour de trois pôles, qui se trouvent au cœur même de notre religion chrétienne : les sacrements, la prière et la formation personnelle [...]