Mt 34,37-44 : « C’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra »

1er dimanche de l'Avent (Cycle A)

Comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’homme. En ces jours-là, avant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’à ce que survienne le déluge qui les a tous engloutis : telle sera aussi la venue du Fils de l’homme. Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée. Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient. Comprenez-le bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra.

Commentaire 1

Nous entamons aujourd’hui le temps de l’Avent, temps de préparation à la venue du Seigneur. La première venue, lors de l’Incarnation et de la Naissance de Jésus à Bethléem, s’est prolongée durant toute sa vie sur terre et jusqu’à sa glorieuse Ascension aux Cieux. Cela dit, il y aura encore une nouvelle et dernière visite, celle que nous professons en cet article du Credo : « Il reviendra de nouveau, dans la gloire, pour juger les vivants et les morts ».

Ce passage de l’Évangile évoque cette dernière visite du Seigneur qui aura lieu à la fin des temps :

“ Depuis l’Ascension, l’avènement du Christ dans la gloire est imminent- dit le Catéchisme de l’Église catholique-même s’il ne nous " appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa seule autorité " (Ac 1, 7 ). Cet avènement eschatologique peut s’accomplir à tout moment ”[1]

D’où l’avertissement de Jésus qui nous invite à y être toujours prêts. Il ne prétend pas nous faire peur mais nous inviter à mener une existence élevée au-dessus des petits soucis du quotidien qui sont, au passage, doués d’une valeur déterminante. La venue du Seigneur peut nous surprendre à tout instant, soudainement, alors que nous sommes plongés dans le train-train quotidien : “En ces jours-là, avant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’à ce que survienne le déluge qui les a tous engloutis : telle sera aussi la venue du Fils de l’homme” (v. 38-39).

Jésus nous invite donc à être vigilants. Nous savons qu’il viendra, mais comme nous ignorons quand et comment, il nous faut être toujours prêts, à tout instant, libres pour aller à sa rencontre, sans nous laisser prendre par les affaires de ce monde, mais en les maîtrisant, pour qu’elles deviennent un chemin de sanctification.

Pour nous alerter sur l’importance d’être vigilants, Jésus propose une courte parabole, dans le cadre de vie d’un village en Palestine : “ Si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison.” (v. 43).

L’obscurité nocturne est favorable à l’approche des voleurs qui rôdent autour des maisons qui ne sont souvent couvertes que par des planches de bois et du chaume et avec des murs en briques d’argile et de paille, faciles à percer pour s’y introduire et piller. Or, si le maître avait su que les pilleurs allaient arriver, il s’en serait occupé, et aurait veillé à protéger tout ce qu’il possédait. Combien le chrétien se doit-il alors d’être vigilant pour garder les trésors reçus de la foi et de la grâce !

“Toi, chrétien, et de ce fait fils de Dieu, tu dois ressentir une grave responsabilité: celle de répondre aux preuves de miséricorde que tu as reçues du Seigneur, dans une attitude vigilante et ferme dans l’amour, pour que rien ni personne ne puisse effacer les traits caractéristiques de l’Amour, qu’il a scellés dans ton âme.”[2]

Très conscient qu’à un moment donné chacun de nous aura à répondre de sa vie devant le tribunal du Seigneur, dans son testament, Saint Jean-Paul II prend très au sérieux cet avertissement du Maître :

“ ‘Veillez car vous ne savez pas le jour où notre Seigneur viendra ’ (Mt 24, 42) – ces paroles évoquent le dernier appel qui aura lieu à l’instant voulu par le Seigneur. Je souhaite y répondre et je désire que tout ce qui fait partie de ma vie sur terre me prépare à cet instant-là. J’ignore quand est-ce que cela aura lieu, mais, comme pour tout, je m'en remets aussi, à ce moment-là, dans les mains de la Mère de mon Maître : Totus Tuus”.[3]

Si nous y sommes bien préparés, nous pourrons, comme lui, attendre avec confiance la venue du Seigneur, avec sérénité et en nous abandonnant entre les mains de la Vierge.

 

[1] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 673. [2] St Josémaria, Forge, 416. [3] St. Jean- Paul II, Testament, Rome 6.III.1979.

Site de l'Opus Dei

Commentaire 2

Saint Bernard : « C’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra »

 

Il est juste, frères, de célébrer l'avènement du Seigneur avec toute la dévotion possible, tellement son réconfort nous réjouit (…) et tellement son amour brûle en nous. Mais ne pensez pas seulement à son premier avènement, quand il est venu « chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10) ; pensez aussi à cet autre avènement, quand il viendra pour nous emmener avec lui. Je voudrais vous voir sans cesse occupés à méditer sur ces deux avènements (…), « vous reposer entre ces deux bercails » (Ps 67,14), car ce sont là les deux bras de l'Époux entre lesquels reposait l'Épouse du Cantique des Cantiques : « Son bras gauche est sous ma tête, et sa droite m'entoure » (2,6). (…) Mais il y a un troisième avènement entre les deux que j'ai évoqués, et ceux qui le connaissent peuvent s'y reposer pour leur plus grand bonheur. Les deux autres sont visibles : celui-ci ne l'est pas. Dans le premier, le Seigneur « est apparu sur la terre et a conversé avec les hommes » (Ba 3,38) (…); dans le dernier « Tout homme verra le salut de Dieu » (Lc 3,6; Is 40,5). (…) Celui du milieu est secret ; c'est celui où seuls les élus voient le Sauveur au-dedans d'eux-mêmes, et où leurs âmes sont sauvées. Dans son premier avènement le Christ est venu dans notre chair et dans notre faiblesse ; dans son avènement intermédiaire il vient en Esprit et puissance ; dans son dernier avènement il viendra dans sa gloire et dans sa majesté. Mais c'est par la force des vertus que l'on parvient à la gloire, comme il est écrit : « Le Seigneur des armées, c'est lui le roi de gloire » (Ps 23,10), et dans le même livre : « Pour que je voie ta puissance et ta gloire » (62,3). Le second avènement est donc comme la voie qui conduit du premier au dernier. Dans le premier, le Christ a été notre rédemption ; dans le dernier, il apparaîtra comme notre vie ; dans sa venue intermédiaire, il est notre repos et notre consolation.

Sermons 4 et 5 pour l’Avent

Commentaire 3

Temps du jugement compare avec les temps de Noë et de Lot
Incertitude par rapport au jour de ce dernier jugement et au salut de chaque homme
Matth. XXIV, 37-42 – Luc. XVII, 27-35


De peur que le jour du Seigneur ne nous prenne au dépourvu, Jésus-Christ nous exhorte à nous y préparer par les bonnes œuvres ; et afin de nous exciter à la vigilance, il déclare que ce qui arriva au temps de Noé arrivera à l'avènement du Fils de l'homme (Matth. XXIV, 37). Cette comparaison nous met devant les yeux deux jugements généraux ; le premier a eu lieu déjà quand la terre fut ensevelie sous les eaux, le second aura lieu quand l'univers sera consumé par les flammes. Notre-Seigneur établit un parallèle entre les deux, soit par rapport à l'incertitude du jour fixé, soit par rapport à l'incrédulité des hommes charnels (Ibid. 38 et 39). Au temps de Noé, tandis qu'il construisait l'arche et annonçait le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, c'est-à-dire ils se livraient à l'intempérance, à la débauche, à la joie et au plaisir sans inquiétude ; tout entiers aux vanités de la terre, ils restaient insensibles aux avertissements du saint patriarche, parce qu'ils se croyaient en sûreté, lorsque tout-à-coup les cataractes du ciel et les sources de l'abîme s'ouvrirent, et tous les habitants de la terre furent engloutis dans les eaux, excepté Noé avec ceux qui étaient enfermés dans l'arche. Il en sera de même à la fin du monde ; les hommes s'adonneront encore aux vices et aux voluptés sans appréhension et avec sécurité, quand soudain le Fils de l'homme apparaîtra pour les juger ; il perdra et condamnera tous ceux qui seront trouvés hors de l'arche, c'est-à-dire hors de L'Église ; mais tous ceux qui s'y seront réfugiés par la foi et les œuvres, il les délivrera et sauvera pour toujours.
« Par les paroles précédentes, dit le Vénérable Bède (in cap. XVII Luc), Jésus-Christ ne condamne pas le mariage ou les aliments, mais il blâme l'usage immodéré de ces choses licites en elles-mêmes ; car les hommes périrent dans le déluge, non pas parce qu'ils usaient de ces biens temporels, mais parce qu'ils s'y abandonnaient tout entiers jusqu'à mépriser les jugements divins. Leur destruction fut subite, non qu'ils ne l'eussent point entendu annoncer, mais parce qu'ils n'avaient pas voulu y croire. Saint Maxime, en parlant de Noé, dit à ce sujet : Si sa bouche se taisait, son travail parlait assez ; si sa langue restait muette, la construction de l'arche criait bien haut ; car dès lorsqu'il exécutait un ouvrage nouveau et inconnu jusque-là, il avertissait clairement les autres hommes qu'il préparait un nouvel abri contre un nouveau danger ; sa conduite extraordinaire était une leçon manifeste, de sorte qu'il pouvait dire comme Jésus-Christ le dit plus tard : Si vous refusez de croire à mes paroles, croyez du moins à mes œuvres (Joan. X, 38). » Mais les hommes les plus pervertis, quoiqu'ils vissent construire cette arche durant tant d'années, continuèrent de jouir du présent sans souci de l'avenir ; et comme ils ne redoutaient point les châtiments dont il étaient menacés, bien loin de se réveiller par une pénitence salutaire, ils s'endormirent tranquillement dans une malice de plus en plus profonde, jusqu'au moment terrible où le déluge vint fondre sur eux en les faisant tous périr misérablement.
De même aujourd'hui, tandis que Jésus-Christ construit l'arche sainte de l'Église, hors de laquelle il n'y a point de salut, il fait prêcher que le Seigneur viendra pour le jugement quand on y pensera le moins. En attendant ce jour, les justes, par leurs actions édifiantes plus que par leurs bons discours, ne cessent d'engager les pécheurs à renoncer au mal et à revenir au Seigneur ; mais les réprouvés se rient de leurs sages conseils et se moquent de leurs vertueux exemples. Aussi le Seigneur viendra perdre ces coupables endurcis au jour qu'ils ne prévoient pas ; car tandis que, comme s'ils n'avaient rien à craindre et à redouter, ils se plairont à répéter qu'ils sont en paix et en sûreté, ils se trouveront enveloppés dans une soudaine catastrophe qui les précipitera dans des tribulations inévitables. Le Vénérable Bède (loc. cit.) dit à ce sujet : « Dans un sens mystique, Noé construisant l'arche est la figure du Seigneur qui, lui aussi, construit son Église, en réunissant ses disciples fidèles et les joignant ensemble comme des bois polis. Quand cet édifice sera terminé, il y entrera au jour du jugement pour l'illuminer de sa glorieuse présence. Or pendant que Noé travaillait à l'arche, les méchants s'abandonnaient à la licence ; mais aussitôt que le saint patriarche fut abrité, tousses contempteurs furent submergés ; ainsi, après avoir insulté en ce monde les élus qui combattent pour la justice, les réprouvés seront frappés d'une éternelle damnation, tandis que les justes seront récompensés d'une couronne immortelle. » — Maintenant, hélas ! combien d'hommes ne pensent point à la mort, malgré la certitude où ils sont qu'il leur faudra la subir un jour ; et souvent elle les atteint au moment où ils ne soupçonnaient aucun danger, car le Fils de l'homme vient à l'improviste pour le jugement particulier comme il viendra pour le jugement général. « Mais quoi d'étonnant, s'écrie saint Chrysostome (Hom. L Oper. imp.), si, quand nous parlons de la fin du monde, les hommes ne nous croient pas ? Chaque jour ceux qu'ils voient mourir leur disent qu'eux-mêmes ne tarderont pas à mourir à leur tour, et cependant ils ne le croient pas ; car s'ils le croyaient véritablement, les verrions-nous commettre des péchés qui les rendent dignes de la mort et de la mort éternelle ? Si donc ils ne croient pas qu'il leur arrivera ce qu'ils voient journellement arriver aux autres, comment pourraient-ils croire à la réalisation future de ce qui ne s'est encore jamais vu ? »
Notre-Seigneur confirme la vérité des paroles précédentes par un second exemple. Au temps de Loth, dit-il (Luc. XVIII, 28), les hommes mangeaient et buvaient pour satisfaire leur sensualité ; ils achetaient et vendaient afin d'assouvir leur cupidité ; ils bâtissaient et plantaient comme s'ils eussent été immortels sur cette terre où ils se reposaient dans une complète sécurité. Mais aussitôt que Loth fut sorti de Sodome, il tomba du ciel une pluie de feu et de soufre, en punition des vices dont les habitants étaient dévorés et infectés ; aussi tous furent consumés en même temps que les villes voisines furent réduites en cendres (Ibid. 29). D'après le Vénérable Bède (in cap. XVII Luc), si Notre-Seigneur ne rappelle point ici les crimes les plus infâmes et les plus monstrueux dont Sodome était coupable, s'il mentionne seulement les fautes plus communes et plus habituelles que l'on regarde souvent comme des peccadilles et des bagatelles, c'est pour faire comprendre quels châtiments terribles sont réservés à la perpétration des choses mauvaises ou défendues, puisque le simple abus des choses permises et même nécessaires à la vie présente est puni avec tant de rigueur. D'après le même saint Père, Loth, dont le nom signifie qui s'écarte, figure le peuple des élus qui vit comme étranger au milieu des Sodomites, c'est-à-dire des pécheurs, en s'écartant de leurs voies criminelles. Dès que Loth fut sorti de Sodome, cette ville fut aussitôt détruite ; ainsi, dit saint Chrysostome, c'est la présence des justes qui empêche la ruine du monde, et dès qu'ils viendront à disparaître, il ne tardera pas à crouler, de même que les Egyptiens furent perdus lorsque les Israélites les eurent abandonnés.
Notre-Seigneur termine ces comparaisons en disant (Ibid. 30) : Il en sera de même quand paraîtra le Fils de l'homme à son dernier avènement. Par toutes ces explications, comme le remarque saint Chrysostome (Hom. LXXVIII in Matth.), Jésus-Christ nous fait entendre qu'il viendra subitement citer le monde devant son tribunal, au moment où beaucoup, uniquement occupés de leurs plaisirs, ne songeront point au péril suspendu sur leurs têtes. Suivant la réflexion du Vénérable Bède (in cap. XVII Luc), Notre-Seigneur dit fort à propos quand le Fils de l'homme se révélera. En effet lui-même qui voit maintenant toutes choses, pendant qu'il se tient caché, les jugera un jour quand il se montrera à découvert ; or il apparaîtra pour juger tous les hommes, lorsqu'il les verra plus que jamais oublier ses commandements divins et s'attacher aux vanités terrestres ; car dans ces derniers temps, lorsque la charité d'un grand nombre se refroidira, la dépravation du genre humain s'augmentera de telle sorte qu'il méritera d'être détruit avec cet univers qu'il habite. Dès aujourd'hui ne voyons-nous pas beaucoup d'hommes tellement livrés à l'intempérance et à la volupté, à l'injustice et à l'avarice que, par leurs vices extrêmes et leurs mœurs dissolues, ils semblent provoquer la colère du souverain Juge ? Et pourtant, ce que tout sage Chrétien ne peut prévoir sans être accablé de tristesse, c'est que le déportement sera plus grand encore à la lin des siècles ; car si le monde n'est pas anéanti dès à présent, c'est qu'il n'a pas encore mis le comble à la mesure de ses iniquités, comme Dieu le disait à Abraham au sujet des Amorrhéens qui devaient être exterminés par ses descendants (Gen. XV, 16). — Pour nous, saisis d'une crainte salutaire, fuyons l'oisiveté et la licence, faisons pénitence de nos fautes passées et tenons nous toujours prêts pour le grand jour du jugement.
Après avoir démontré l'incertitude du temps où s'effectuera le jugement, Notre-Seigneur veut nous prouver l'incertitude du salut pour ceux qui subiront ce jugement, afin que nul ne se livre à la présomption ou ne se prévale de son état ; car dans tous les états il y aura des élus et des réprouvés. C'est pourquoi il ajoute (Matth. XXIV, 40) ; De deux hommes qui seront dans un champ, l'un sera choisi et l'autre rejeté. C'est-à-dire parmi les ouvriers évangéliques chargés de cultiver le champ du Père de famille, qui est l'Église de Dieu, les bons appliqués à leur ministère seront appelés à la gloire, et les mauvais dépourvus de zèle seront réservés à la damnation. — Pareillement (Ibid. 41), de deux femmes qui broieront le blé dans un moulin, l'une sera prise et l'autre laissée c'est-à-dire parmi les personnes occupées à la vie active où elles sont dans une agitation continuelle comme la roue d'un moulin, les unes seront récompensées pour leur justice, et les autres seront châtiées pour leurs iniquités. Ici les deux femmes représentent les simples fidèles qui à cause de leur faiblesse sont dirigés par des supérieurs. — De même encore (Luc. XVII, 34), pendant cette nuit, de deux hommes qui reposeront dans un même lit, l'un sera pris et l'autre laissé ; c'est-à-dire durant ce temps de ténèbres et de tribulations que causera l'Antéchrist, parmi les âmes vouées à la vie contemplative qui auront renoncé aux charges ecclésiastiques comme aux affaires séculières, pour vaquer uniquement à la prière et à l'oraison dans la retraite et le silence, les unes seront sauvées et les autres damnées.
Nous voyons par ces divers exemples que dans chaque état il y a des élus et des réprouvés, car dans chacun il y a des bons et des méchants ; aussi, selon la remarque de saint Augustin, le meilleur et le pire se rencontrent mêlés ensemble dans toute condition et en tout rang. Mais alors les justes seront réunis pour jouir du bonheur éternel là où le Christ se trouve ; car où est le corps les aigles se rassembleront (Matth. XXIV, 28), c'est-à-dire où sera le Seigneur en son humanité qui est la proie, la nourriture des âmes saintes, là se rassembleront comme des aigles spirituelles ces mêmes âmes jointes à leurs corps ; et après s'être rassasiées sur la terre de la chair sacrée de l'Homme-Dieu en participant à ses souffrances et à ses humiliations, elles verront leur jeunesse renouvelée comme celle de l'aigle par la résurrection (Ps. CII, 5). Les pécheurs au contraire seront abandonnés aux démons pour subir avec eux un châtiment éternel. À cette terrible division des hommes se rapportent ces paroles du prophète Osée (XIII, 14) : Dans ma douleur je ne vois rien qui me console, parce que les frères seront séparés les uns d'avec les autres. — Ainsi donc en disant que, de deux personnes qui seront ensemble, soit dans un champ, soit dans un moulin, soit dans un lit, l'une sera prise et l'autre laissée, Notre-Seigneur a voulu montrer que, dans chacune des trois classes qui composent l'Église présente, toutes les personnes n'auront pas la même éternelle destinée ; car, comme le remarque saint Chrysostome (Hom. L Oper. imp.), de ces deux personnes l'une représente tous les élus et l'autre tous les réprouvés. Que chacun examine au nombre desquels il mériterait d'être placé si le jugement arrivait pour lui, et qu'il se rende digne d'être associé aux bienheureux habitants de la céleste patrie ; car les bons seuls y seront admis, tandis que les méchants seront relégués à jamais dans le cachot infernal.
Or les élus, qui doivent être pris dans les trois classes indiquées ici, ont été figurés par trois saints personnages, dont le Seigneur a dit par son Prophète que leurs fidèles imitateurs seront seuls sauvés (Ezech. XIV). Le premier des trois, Noé, qui conduisit l'arche parmi les eaux du déluge, est le type des prélats ou des pasteurs chargés de diriger l'Église parmi les dangers de ce monde. Job, cet homme puissamment riche qui sut administrer sagement sa nombreuse famille, est le modèle des Chrétiens qui, parmi les occupations de la vie présente, s'exercent à la pratique des bonnes œuvres. Daniel, homme de désirs, qui dédaigna le mariage et lui préféra la continence, et qui pratiqua la mortification et l'abstinence jusque dans la cour des rois, est l'image des contemplatifs qui ont renoncé à toutes les jouissances mondaines pour se donner à Dieu seul. Quant aux clercs qui se mêlent d'affaires séculières et de causes civiles, on ne sait trop dans quelle classe ou peut et on doit les ranger.
A quelque classe qu'il appartienne ici-bas, nul ne peut être assuré de son propre salut, parce qu'il ne peut être certain de la disposition particulière où il se trouvera au dernier jour ; aussi Jésus-Christ conclut en disant (Matth. XXV, 13) : Veillez donc eu vous tenant toujours sur vos gardes, parce que vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur viendra, soit pour le jugement particulier qui a lieu après la mort de chacun, soit pour le jugement général qui aura lieu après la résurrection de tous. Vous ignorez, en effet, si ce sera le matin dans votre enfance, ou à la troisième heure dans votre jeunesse, ou à la sixième dans votre âge mûr, ou bien vers le soir dans votre vieillesse ; soyez donc continuellement appliqués aux bonnes œuvres, de peur que, quand il arrivera tout-à-coup et à l'improviste, il ne vous trouve endormis dans le péché sans que vous soyez prêts à le recevoir. Voilà pourquoi le Sage a dit : L'homme ne connaît pas quelle sera sa fin ; mais comme le poisson est pris à l'hameçon et l'oiseau dans le filet, ainsi l'homme sera surpris en ce jour mauvais, au moment où il y pensera le moins (Eccl. IX, 12). Rien n'est plus certain que la mort, dit saint Bernard (ad milites Templi),et rien n'est plus incertain que son heure ; car nous ne savons ni où, ni quand, ni comment nous mourrons, parce qu'en tout temps comme en tout lieu la mort est suspendue sur nos têtes. Aussi devons-nous être toujours prêts, afin que, quand notre corps retournera dans la terre d'où il a été tiré, notre âme s'envole dans le sein de Dieu qui nous l'a donnée (Eccl. XII, 7). « Pendant que nous voyageons en cette vie, dit également saint Grégoire, ne nous abandonnons point à la paresse, de peur que nous ne perdions notre place dans la patrie ; et puisqu'aujourd'hui nous avons encore le loisir de faire le bien, ayons soin d'en profiter, demain peut-être il ne serait plus temps. » « Pourquoi, se demande saint Chrysostome (Hom. LI Oper. imp.), Dieu a-t-il voulu que chacun de nous ignorât le jour de sa propre mort ? C'est, répond-il, afin que, craignant chaque jour son arrivée, nous ne cessions jamais de faire le bien, et c'est pour la même raison qu'il cache à tous les hommes le jour du jugement général, car il veut que l'appréhension perpétuelle de ce redoutable événement force toutes les générations à travailler à leur salut commun. »
Cette incertitude où nous sommes, soit pour le temps du jugement, soit pour l'heure de la mort, doit nous maintenir dans une attente et une vigilance continuelles, afin d'être toujours préparés pour ce moment inconnu qui décidera de notre sort éternel. Aussi saint Bernard interpelle en ces termes l'homme qui néglige l'importante affaire de son salut (Serm. 25 in Cant.) : « Malheureux que vous êtes ! pourquoi ne pas vous tenir prêt à toute heure pour ce suprême passage ? Sachant que votre mort est inévitable, considérez-la comme déjà présente, et figurez-vous ce moment affreux de l'agonie où vos yeux deviendront hagards, où vos veines seront brisées et votre cœur déchiré par la violence de la douleur. » N'oublions donc jamais combien le monde est trompeur, la vie courte, sa fin incertaine et ses Fuites horribles ; pensons à la rigueur du Juge et à la durée du châtiment, cette pensée nous inspirera une frayeur incessante qui nous portera infailliblement à fuir le mal et à faire le bien. « Ne perdez point de vue votre dernière heure, dit saint Basile (Orat. III de Peccato) le matin quand vous vous levez, ne comptez pas arriver jusqu'à la nuit, et le soir quand vous vous disposez à prendre votre repos, ne présumez pas voir le lendemain ; par ce moyen vous pourrez facilement réprimer en vous tous les vices. Et pour vous animer à la pratique de toutes les vertus, rappelez-vous sans cesse la promesse des récompenses célestes. Soyez dès maintenant dans toutes vos démarches tel que vous voudriez être trouvé pins tard. »
Dans l'appréhension continuelle de ce jour suprême faisons une justice rigoureuse de nous-mêmes, en produisant de dignes fruits de pénitence ; prévenons ainsi l'avènement du Seigneur par nos prières ferventes et par nos bonnes œuvres afin de nous le rendre favorable et propice ; car si nous nous jugeons nous-mêmes, selon le grand Apôtre (I Cor. XI, 31), nous ne serons pas jugés. Qu'il est bon, s'écrie saint Bernard (Serm. LV in Cant.), qu'il est salutaire ce jugement qui me soustrait au sévère jugement du Seigneur ! Je tremble de tomber entre les mains redoutables du Dieu vivant ; aussi pour ne pas être jugé à son terrible tribunal, je veux être jugé d'avance. Je jugerai donc moi-même tous mes actes, non-seulement les mauvais, mais encore les bons. Quant aux mauvais, je m'efforcerai de les corriger par de meilleurs, de les effacer par mes larmes, de les expier par mes jeûnes et autres peines satisfactoires. Quant aux bons, je m'exciterai à une profonde humilité en me regardant, d'après le précepte du Sauveur, comme un serviteur inutile qui n'a fait que ce qu'il devait faire ; j'examinerai et je redresserai mes voies et mes tendances, afin que Celui qui doit visiter Jérusalem avec des flambeaux ne trouve rien en moi qui n'ait été déjà scruté et réparé. Le Seigneur ne jugera pas assurément deux fois la même chose. » — Après avoir entendu saint Bernard, écoutons enfin saint Chrysostome (loc. cit.) : « Dans les fautes que nous commettons, nous devons redouter non pas les hommes principalement, mais Dieu qui voit maintenant toutes nos œuvres et qui punira un jour tous ceux qui n'auront pas fait pénitence en ce monde. Celui qui, n'étant retenu que par la crainte des hommes, ne craint pas de faire le mal en présence de Dieu seul, s'il ne se repent point et ne s'amende pas ensuite, sera confondu en face de l'univers. Car au jour du jugement, toutes nos iniquités seront exposées à tous les regards comme dans un tableau, de sorte que chacun sera condamné par la manifestation publique de ses propres œuvres. Voulons-nous par conséquent que nos fautes ne soient pas dévoilées devant le monde entier, hâtons-nous de guérir nos blessures pendant qu'il en est temps encore ; car bientôt nous ne pourrons plus expier nos péchés, parce que le châtiment approche. Ne tardons pas à faire pénitence ici-bas, afin qu'au dernier jour nous trouvions Dieu propice, et que nous ressentions sa miséricorde infinie. » Ainsi parle saint Chrysostome.


Prière
Seigneur Jésus, faites que je me prémunisse contre l'incertitude du jour de votre avènement par la vigilance sur tous mes actes et par la pratique des bonnes œuvres, de peur que, m'abandonnant aux plaisirs et aux vanités du monde, je ne sois pris tout-à-coup au dépourvu en ce jour suprême. Accordez-moi de mériter alors, avec le secours de votre grâce, d'être compté au nombre de vos bienheureux élus et d'être admis à la participation de leurs joies célestes. Qu'ainsi miséricordieusement associé à vos Saints, dont la jeunesse sera renouvelée comme celle de l'aigle par la résurrection, je sois réuni à vous dans le lieu même où réside votre corps glorifié, afin que je puisse me rassasier pleinement de votre vue béatifique et que je ne cesse de vous louer avec allégresse pendant toute l'éternité. Ainsi soit-il.

 

La Grande Vie de J-C (Ludolphe le Chartreux)