Notes tirées du chapitre XIV : « La valeur infinie de chaque messe » du livre du R.Garrigou-Lagrance O.P – « Le Sauveur et son amour pour nous ».
Le Prêtre principal au sacrifice de la Messe est le Sauveur.
Le Sacrifice de la Messe est a lui-même une valeur infinie, mais que l’effet qu’il produit en nous est toujours fini, si élevé soit-il, et proportionné à nos dispositions intérieures.
Le sacrifice de la Messe considéré en lui-même a une valeur infinie
La raison en est qu’il est le même en substance que le sacrifice de la Croix, lequel a une valeur infinie, à cause de la dignité de la victime offerte et du prêtre qui l’a offerte, puisque c’est le Verbe fait chair qui sur la Croix était en même temps prêtre et victime. C’est lui qui reste à la Messe le prêtre principal et la victime réellement présente, réellement offerte et sacramentellement immolée.
Mais tandis que les effets de la Messe immédiatement relatifs à Dieu, comme l’adoration réparatrice et l’action de grâces, se produisent toujours infailliblement en leur plénitude infinie, même sans notre concours, ses effets relatifs à nous ne se répandent que dans la mesure de nos dispositions intérieures.
Par chaque Messe sont offertes à Dieu et infailliblement une adoration, une réparation, et une action de grâces d’une valeur sans limite ; cela à raison de la victime offerte et du Prêtre Principal, indépendamment même des prières de l’Eglise universelle et de la ferveur du célébrant.
Il est impossible de mieux adorer Dieu, de mieux reconnaître son souverain domaine sur toutes les choses, sur toutes les âmes, que par l’immolation sacramentelle du Sauveur mort pour nous sur la croix. […]
C’est la réalisation aussi parfaite que possible du précepte : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne serviras que lui seul » (Deut, 6,13). C’est par ces paroles que Notre-Seigneur répondit à Satan qui lui disait : « Je te donnerai tous les royaumes du monde, si tu te prosternes devant moi pour m’adorer » (Mat, 4,9). Seule l’infinie grandeur de Dieu mérite ce culte de latrie. Ici, à la Messe, lui est offerte une adoration en esprit et en vérité d’une valeur sans mesure.
De même il est impossible d’offrir à Dieu une réparation plus parfaite pour les fautes qui se commettent chaque jour, comme le dit le Concile de Trente. Ce n’est pas une nouvelle réparation distincte de celle de la Croix, le Christ ressuscité ne meurt plus et ne souffre plus ; mais selon le même Concile, le sacrifice de l’autel, étant substantiellement le même que celui du Calvaire, plaît plus à Dieu que ne lui déplaisent tous les péchés réunis. Comme l’humanité du Sauveur, qui était passible ou sujette à la douleur et à la mort, et qui ne l’est plus, reste substantiellement la même, ainsi le sacrifice du Christ est perpétué en substance. On ne saurait mieux reconnaître le droit imprescriptible de Dieu, Souverain Bien, à être aimé par-dessus tout, que par l’oblation de l’Agneau qui efface les péchés du monde.
Enfin, il est impossible de mieux le remercier des bienfaits reçus : « Que rendrai-je à Dieu pour tous ses bienfaits à mon égard ? J’élèverai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur » (Ps, 125,12). Souvent nous oublions de remercier Dieu de ses grâces, comme ces lépreux guéris par Jésus ; sur dix, un seul revint le remercier. Il convient d’offrir souvent des messes d’actions de grâces ; une pieuse coutume se répand à l’heure actuelle, celle de célébrer en action de grâces la messe du second vendredi de chaque mois, pour réparer nos ingratitudes.
L’adoration, la réparation et l’action de grâces sont des effets du sacrifice de la Messe qui regardent Dieu même et qui sont infaillibles. Par chaque messe célébrée, par l’oblation et l’immolation sacramentelle du Sauveur sur l’autel, Dieu obtient infailliblement une adoration infinie, une réparation et une action de grâces sans limites. Il en est ainsi à raison de la dignité de la Victime et de celle du Prêtre principal ; l’oblation intérieure, qui dure toujours au cœur du Christ, est un acte théandrique, acte humain de sa volonté humaine, qui puise dans la personne du Verbe une valeur à proprement parler infinie.
Au moment de la consécration, dans la paix du sanctuaire, il y a comme un grand élan d’adoration qui monte vers Dieu. Le prélude en est le Gloria et le Sanctus, dont la beauté est soulignée certains jours par le chant grégorien, le plus élevé, le plus simple, le plus pur de tous les chants religieux, ou parfois par les magnificences de la musique polyphonique ; mais lorsqu’arrive le moment de la double consécration, tout se tait : le silence exprime à sa manière ce que le chant ne peut plus dire.
Ce silence est l’image de celui qui, selon l’Apocalypse (8,1), se produisit au ciel, quand l’Agneau eut ouvert le livre fermé de sept sceaux, le livre des décrets de Dieu relatifs à son royaume. Que ce silence de la consécration soit notre repos et notre force.
Ainsi est perpétué en substance l’adoration, la réparation et le Consummatum est du sacrifice de la Croix. Et cette adoration, qui monte ainsi vers Dieu de toutes les messes quotidiennes, retombe en quelque sorte en rosée féconde sur notre pauvre terre pour la fertiliser spirituellement.
N’oublions pas que la fin la plus haute du saint Sacrifice est la Gloire de Dieu, la manifestation de sa Bonté, qui est la fin même de l’univers. Ainsi, par une messe, c’est en quelque sorte toute la création qui, dans une prière d’adoration réparatrice et d’action de grâces, remonte vers son Créateur.
Si ces effets sont relatifs à Dieu même, d’autres sont relatifs à nous. La Messe peut nous obtenir toutes les grâces nécessaires au salut. « Le Christ toujours vivant ne cesse d’intercéder pour nous « (Heb, 7,25), et son intercession n’a pas moins de valeur que son adoration.
Quels sont les effets que la Messe peut produire en nous ?
[…] Elle nous remet nos péchés, en tant qu’elle nous obtient la grâce du repentir ; si nous ne résistons pas à cette grâce, nos péchés nous sont remis. Comme le sacrifice de la Croix, obtint cette grâce au bon larron, le sacrifice de la Messe l’obtient à ceux qui le désirent ; ce n’est pas en vain qu’on dit avant la Communion ces paroles : Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis. […]
De ce que la Messe remet nos péchés, il suit qu’elle peut être offerte pour des pécheurs même endurcis et impénitents, auxquels on ne pourrait donner la communion. Le saint sacrifice peut leur obtenir au moins des grâces suffisantes de lumière et d’attrait. […]
L’esprit du mal ne redoute rien tant qu’une messe, surtout lorsqu’elle est célébrée avec grande ferveur et que beaucoup s’y unissent avec esprit de foi. […]
Le sacrifice de la Messe remet non seulement nos péchés, mais la peine due aux péchés pardonnés, qu’il s’agisse des vivants ou des morts pour lesquels ce sacrifice est offert. Cet effet est même infaillible ; cependant la peine n’est pas toujours remise en sa totalité, mais selon la disposition de la Providence et le degré de notre ferveur. Ainsi se vérifient les paroles : « Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, donnez-nous la paix. » […]
Enfin, le sacrifice de la Messe nous obtient les biens spirituels et temporels, nécessaires ou utiles à notre salut. La prière du Christ, qui continue de s’offrir sur nos autels, a une valeur infinie. Ainsi, convient-il, comme l’a recommandé S.S. Benoît XV, de faire célébrer des messes pour obtenir la grâce de la bonne mort, qui est la grâce des grâces, celle dont dépend notre salut éternel.
Puisqu’il en est ainsi, il convient, en assistant à la Messe, de nous unir, avec un grand esprit de foi, de confiance et d’amour, à l’acte intérieur d’oblation qui dure toujours au Cœur du Christ … Il nous y invite ainsi lui-même, comme le dit l’auteur de l’Imitation, 1.IV, c.8 : « Comme je me suis offert volontairement pour vos péchés à mon Père, les bras étendus sur la Croix, … ainsi vous devez tous les jours, dans le sacrifice de la Messe, vous offrir à moi, comme une hostie pure et sainte … Tout ce que vous me donnez hors vous n’est rien, parce que c’est vous que je veux et non par vos dons … Si vous demeurez en vous-mêmes, si vous ne vous abandonnez pas sans réserve à ma volonté, votre oblation n’est pas entière, et nous ne serons pas unis parfaitement. » Plus nous nous unirons ainsi à Notre-Seigneur, au moment de la consécration, qui est l’essence du sacrifice de la Messe, meilleure sera notre communion qui est une participation à ce sacrifice.
A cet appel nous devons répondre, comme le dit aussi de l’Imitation, 1.IV, c.9 : « En vous présentant mes péchés, pour que vous me les pardonniez …, je vous offre, Seigneur, tout ce qu’il y a de bien en moi, quelque faible, quelque imparfait qu’il soit, afin que l’épurant, le sanctifiant, le perfectionnant sans cesse, vous le rendiez plus digne de vous … Je vous offre encore tous les pieux désirs des âmes fidèles, les besoins de tous ceux qui me sont chers … Je vous offre enfin des supplications et l’hostie de paix, principalement pour ceux qui m’ont offensé en quelque chose, qui m’ont attristé … et pour tous ceux que j’ai moi-même affligés, blessés, scandalisés, le sachant ou non, afin que vous nous pardonniez à tous … Faites que nous soyons dignes de jouir ici-bas de vos dons et d’arriver à l’éternelle vie. » Offrons de même les contrariétés quotidiennes ; ce sera la meilleure manière de porter notre croix, comme le Seigneur l’a demandé. […]